[Article original à lire sur le site de Monsieur Scientas’Hic]
Dans cette deuxième partie de notre interview-fleuve de Geoffrey Claustriaux, nous vous proposons une plongée dans son cycle Les Royaumes éphémères, sa première oeuvre publiée. De sa création atypique à sa republication, il y a vraiment de quoi en faire une histoire!
En quelques mots, peux- tu nous décrire ton cycle Les Royaumes éphémères ?
Le principe, c’est que quand on meurt dans notre monde, on est réincarné dans le monde des Royaumes éphémères avec le corps que l’on avait au moment de sa mort. Concrètement, cela signifie que quelqu’un mort de vieillesse sera de nouveau vieux, un mort jeune sera jeune et, vu que le temps est arrêté dans les royaumes, on est potentiellement immortel. Je trouvais amusant le principe que l’on ne puisse pas se fier à l’apparence de quelqu’un pour juger sa puissance.
On suit David, un adolescent qui meurt dans un accident de voiture et qui va rencontrer Balin, un jeune garçon qui est en réalité un mage ayant accumulé beaucoup d’expérience dans la maîtrise des pouvoirs magiques que l’on acquiert en arrivant dans les Royaumes éphémères. A partir de là, David va rencontrer des gens et vivre plein d’aventures.
Petite précision, Balin se prononce « balain » et pas « baline », comme je le faisais !
[Rires] Oui, et je précise que je l’ai écrit avant de voir Le Hobbit. Est-ce que c’était une réminiscence du Seigneur des Anneaux que j’avais lu adolescent ? Après, on le prononce comme on veut !
J’ai lu que tu l’avais écrit dans un train, c’est un peu particulier ça, non ?
Comme je vis à La Louvière et que je travaille à Bruxelles, j’ai quasiment 2h de train par jour. Pour occuper mon temps, j’écris. Il faut savoir que j’écris pratiquement tous mes livres dans le train, je dis toujours qu’entre 90 et 95% s’écrivent dans le train.
Ca doit être difficile.
C’est une question d’habitude. Après, je n’y arrive pas toujours. Si à côté de moi des gens parlent vraiment fort, ou qu’un bébé pleure ou simplement que je suis fatigué… Le truc c’est de mettre chaque moment à profit. Dès que j’ai 5 minutes, parfois même en voiture, au feu rouge, hop, je fais deux phrases. Ce sont deux phrases qui ne sont plus à faire. L’idée est donc d’optimiser le temps. J’ai peut-être aussi la chance d’écrire plus vite que d’autres, je ne sais pas [rires].
A ce sujet, à quel rythme écris-tu ?
Sur les deux heures, je dirais entre 500 et 1000 mots.
Comment as-tu eu l’idée de cette histoire ?
L’histoire des Royaumes éphémères est assez marrante. J’ai justement retrouvé cette semaine [semaine du 20/03/17] la feuille avec mes toutes premières notes. En fait, je revenais d’un nouvel an en Alsace, ce n’est pas moi qui conduisait parce que j’étais… enfin bon [rires]. Tout à coup, j’ai eu l’idée : un personnage meurt, il se retrouve dans un monde avec un corps immortel. C’est vraiment sorti spontanément, comme ça, de nulle part j’ai envie de dire. J’ai commencé à griffonner, et à partir de là, j’ai développé le monde. Puis j’ai entièrement écrit le premier tome, un tiers du deuxième tome, et après je suis passé sur autre chose en attendant de voir si l’histoire allait être publiée ou pas.
Dans l’intervalle, j’ai écrit le thriller hardcore, puis Les Chroniques de l’Après-monde. Au final, je l’ai envoyé à plein d’éditeurs. Je n’ai eu quasiment que des réponses négatives, comme tout le monde au début, puis Mon Petit Editeur m’a contacté. Je ne les connaissais même pas. Ils m’ont dit, en gros : « c’est quand même chouette, on va le publier si vous êtes d’accord ». Ce n’est pas un gros éditeur, c’est même un petit éditeur comme son nom l’indique, parce qu’il faut tout faire soi-même en termes de publicité. Mais ça a tout de même permis de confronter mes écrits à un public objectif et les retours extrêmement positifs m’ont donné l’envie de continuer à écrire.
Et tu savais déjà comment l’histoire allait se terminer ? Tu avais déjà un plan ?
J’avais les grandes lignes définies. Au début, je pensais même faire 5 tomes, puis j’ai eu peur que ça traîne en longueur, alors j’ai préféré condenser en 3 tomes. Je savais que les personnages allaient aller dans plusieurs pays, un pays par tome, et qu’ils allaient vivre certaines aventures, mais je n’avais pas forcément les détails. Par exemple, au début, David n’avait pas de frère, et c’est en retravaillant le tome 1 à la demande de Mon Petit Editeur que je me suis dit qu’il serait intéressant de lui ajouter un frère.
La manière dont leur relation se développe fait un peu penser à Naruto. De manière générale, la manière dont le récit est organisé (par exemple les phases d’entraînement) m’a fait penser aux mangas. Je ne sais pas si tu as lu Naruto et s’il t’a influencé ?
[Attention, léger spoiler] Eh bien, quand je fais des salons du style Made in Asia, je le vends comme un « manga en roman », parce que je lis énormément de mangas et que l’influence de Naruto est extrêmement présente dans le premier tome, notamment la relation David-Matthew. J’aimais aussi beaucoup l’organisation en villages. Mais Naruto n’est pas ma seule influence pour la saga des Royaumes. J’avais aussi en tête Hunter X Hunter, One Piece et JoJo’s Bizarre Adventure, pour les pouvoirs un peu fous. Même si je n’ai pas repris de pouvoir en particulier, « l’esprit » y est.
C’est ton premier roman publié. Est-ce que tu avais déjà publié ou écrit d’autres choses ?
Je n’avais rien publié du tout avec les Royaumes. J’avais écrit des nouvelles, que j’avais fait lire à mon entourage et qui plaisaient bien, mais c’était sans but de publication à ce moment-là. J’avais aussi commencé un roman de science-fiction à 15-16 ans, Des Ombres dans le Ciel, mais c’était beaucoup trop ambitieux pour quelqu’un sans expérience.
C’est plutôt drôle, car j’ai toujours aimé raconter des histoires, mais je n’ai jamais envisagé de devenir écrivain. De base, je suis plutôt passionné par le cinéma. Je dis toujours que je suis tombé dans l’écriture un peu par hasard. C’est parce que Les Royaumes Ephémères a plu que j’ai continué.
Ce qui est aussi particulier, c’est que tu es en train de réécrire Les Royaumes éphémères pour le republier, et ça c’est assez rare, même pour des œuvres de « jeunesse ». Pourquoi as-tu décidé de le retravailler ?
Je suis assez perfectionniste dans mon travail. J’ai eu des retours unanimement positifs sur le Tome 1, mais j’ai aussi reçu des critiques totalement justifiées sur le style qui était… voilà, c’était un premier roman. Et quand je me suis relu, je me suis dit : « Holalalala, c’est pas possible, j’ai osé montrer ça ?! » Et donc je l’ai réécrit, parce que ça me rendait malade. Je n’avais même plus envie de le proposer aux gens en en connaissant les défauts. Et par rapport au fait que Les Chroniques de l’Après-Monde avait très bien marché, je n’avais pas envie que les lecteurs soient déçus en passant de l’un à l’autre. En fait, je l’ai réécrit principalement pour moi, pour que je sois de nouveau heureux de le proposer au lecteur.
Donc ce sont surtout des corrections stylistiques et orthographiques, ou il y a également de nouvelles péripéties ?
Non, il n’y a aucun événement supplémentaire, c’est purement stylistique. Je n’ai pas touché à l’histoire, mais je l’ai réduite, en enlevant des passages complètements inutiles. Il y a un moment, pendant une page et demi, David décrit la cabine dans laquelle il arrive [chapitre 3]. En relisant ça je me dis : « quel intérêt ? ». Au final, j’ai réduit le Tome 1 d’environ 1/5ème.
[Pour avoir une idée de ce travail de correction, voici un court passage dans sa version originelle et dans sa version corrigée]
1re version : Sans se presser, il revint dans la grande pièce et fut surpris de constater que Milia l’avait redécorée à sa façon. De grandes tentures rouges ornaient à présent les fenêtres et des sofas de la même couleur avaient remplacé les chaises de bois. Sur les meubles trônaient quelques bibelots biscornus tandis que les murs avaient été recouverts de motifs abstraits et colorés. Le tout était un peu trop chargé au goût de David, mais il se garda toutefois de le faire remarquer. Balin, assis dans le divan, affichait un air contrit ; il poussa un long soupir de résignation. Visiblement, ce n’était pas la première fois qu’il avait à subir cette décoration particulière.
2e version : La cabane fut nettoyée et redécorée en moins d’une heure. De grandes tentures rouges ornaient à présent les fenêtres tandis que les murs avaient été recouverts de motifs abstraits et colorés. Les chaises de bois avaient laissé la place à des sofas moelleux et, sur les meubles, trônait une impressionnante collection de bibelots biscornus. Le tout était un peu trop chargé au goût de David, qui se garda toutefois de le faire remarquer à Milia, l’instigatrice de ce changement. Balin, de son côté, affichait un air contrit. Visiblement, ce n’était pas la première fois qu’il avait à subir cette décoration particulière.
Il y a aussi que j’ai vraiment peur d’ennuyer le lecteur, donc je travaille énormément la fluidité du texte. Je passe parfois des heures sur un paragraphe, juste pour trouver « le truc » qui fait que ça va se lire d’une traite. C’est aussi pour cette raison que le tome 1 ne me satisfaisait pas. Au niveau du rythme, c’était beaucoup trop lourd, pas assez fluide à mon goût.
Justement, comment fais-tu pour t’assurer que ça soit fluide ? Je sais qu’Alain Damasio [La Horde du Contrevent] fait par exemple un gros travail sur la « prononciation » des sons, pour s’assurer que le texte sonne bien. Et toi, utilises-tu des « outils » ?
Je n’ai pas vraiment d’outils, mais c’est assez comparable à ce que tu dis, sans aller aussi loin. Il faut que, dans ma tête, la phrase soit fluide et que je ne bloque sur aucune syllabe. Tu sais, un truc con, c’est par exemple d’éviter de terminer un mot en « rac » et commencer le suivant par « c ». Si ça sonne bien, alors c’est fluide. Dans la phrase, il ne doit pas y avoir de moments où tu butes sur un mot. C’est beaucoup de travail.
Propos recueillis oralement le 24/03/17, mis à jour par mail début mai.